Avant de continuer cette lecture qui, je l'espère, vous intéressera, je vous invite à vous référer au plan, malencontreusement oublié dans mon absence d'introduction, et que vous trouverez dans le troisième commentaire de cet article.

Les habitués (plaise à Dieu qu'on ne s'y habitue jamais !) auront reconnu le Sanctus, qu'on chante à pleine voix à chaque messe :

« Saint ! Saint ! Saint le Seigneur, Dieu de l'Univers !
Le ciel et la terre sont remplis de ta gloire, Hosanna au plus haut des cieux !
Béni soit celui qui vient au nom du Seigneur, Hosanna au plus haut des cieux ! »

Cette acclamation trouve son origine, comme le lecteur avisé l'aura compris, dans une vision d'Isaïe, une théophanie, une manifestation divine où le Seigneur se révèle dans toute sa gloire, et qui provoque l'effroi du voyant jusqu'à ce qu'un ange vienne lui donner la grâce de parler au nom de Dieu, ce qui fait de lui un prophète. La suite, « Béni soit celui qui vient au nom du Seigneur », vient, quant à elle du psaume 117(118), au verset 26, repris dans l'évangile de saint Matthieu au chapitre 21, verset 9, à l'entrée messianique de Jésus à Jérusalem.

Le lien entre Écriture Sainte et liturgie est tellement évident qu'il ne devrait pas être nécessaire de le rappeler. Toutefois, force m'est de constater que ce lien est souvent perdu, et surtout que le lien entre la Parole de Dieu, la Révélation de Dieu et la liturgie quotidienne et dominicale est souvent perdu. Rappelons-le donc : cet exemple, avec une phrase - une seule ! - qui renvoie à trois passages de l'Ancien et du Nouveau Testament indissolublement unis, n'est qu'un exemple parmi tant d'autres.

Mais si j'ai pris celui-là, ce n'est pas pour rien.
C'est parce que ces phrases sont proclamées juste avant la consécration, sommet de l'Eucharistie, du pain et du vin qui deviennent le Corps et le Sang du Seigneur par les mains et la parole du prêtre (encore tirée de la Sainte Écriture !) et la puissance du Saint-Esprit.
C'est parce que cette phrase d'Isaïe est issue d'un passage où le prophète est saisi (et effrayé !) par la gloire de Dieu, tellement qu'il pense en mourir, et que cette phrase du psaume est reprise dans l'évangile de Matthieu au moment où le Christ Jésus entre en Messie triomphant dans Jérusalem en liesse.
Voilà qui devrait nous faire réfléchir quelques instants, non ?
Au moment de la consécration, et, plus largement, dans nos liturgies, réalisons-nous et manifestons-nous que nous sommes en présence, pour ainsi dire face-à-face, avec le Dieu trois fois saint, Seigneur des Armées (comme signifie Sebaoth) célestes, du ciel et de la terre ? Que la gloire de Dieu, même si elle n'est pas visible à nos yeux de chair, est pourtant réellement présente à l'autel, est pourtant réellement présente à notre prière communautaire ?

J'entends tout à fait la réaction légitime de certains, disant : "Mais enfin, cher ami, si le Seigneur est venu dans une crèche, s'il a vécu une vie d'homme, s'il a lavé les pieds de ses disciples, s'il est mort comme un malfaiteur, n'est-ce pas parce qu'il voulait se faire le plus petit d'entre nous ?" Ils ont raison, mille fois raison.
Mais lisons l'Écriture jusqu'au bout : à la crèche, les bergers et les mages viennent se prosterner devant lui ; dans sa vie d'homme, nombreux sont ceux qui viennent se prosterner devant lui, soit pour obtenir quelque chose de lui, soit parce qu'ils ont déjà reçu quelque chose de lui ; quand il lave les pieds de ses disciples, Jésus leur dit précisément de faire comme lui en se mettant à leur tour au service de leurs frères ; et quand il meurt sur la croix comme un malfaiteur, un centurion n'hésite pas à proclamer que, « vraiment, celui-ci était le Fils de Dieu ! » (Mt 27,54). Et surtout, trois jours plus tard, Jésus ressuscite et se manifeste dans son corps de gloire. D'ailleurs, avant sa crucifixion, il a été transfiguré devant Pierre, Jacques et Jean, qui ont vu la colonne de nuée descendre sur Jésus et les envelopper eux aussi, à leur grand effroi, et Moïse et Élie parler avec Jésus. Pas rien !
Quand on lit l'Écriture dans son unité et son tout, on découvre que l'abaissement et la glorification de Jésus vont toujours de pair : lui s'abaisse, mais il est glorifié par les hommes qui le reconnaissent et qui croient en lui, et surtout il est glorifié par son Père ! Les seuls qui ne le glorifient pas, ce sont ceux qui ne croient pas en lui, et cela aboutit à sa Passion et sa Croix. Et il est glorifié malgré eux.

Saint Paul, dans sa lettre aux Éphésiens, au chapitre 5, versets 20-21, nous invite vivement à être, « par respect pour le Christ, soumis les uns aux autres (...) comme au Christ »  ! Le fait que le Christ se soit abaissé jusqu'à revêtir notre condition d'esclaves (Phil 2,7, et c'est bien "esclave", et non pas seulement "serviteur", dans le texte grec) ne nous autorise pas, me semble-t-il, à le traiter comme s'il l'était... car, vraiment, il ne l'est pas, mais il est notre Seigneur, notre Sauveur et notre Dieu !

Quand nos liturgies sont fades, horizontales, humaines, trop humaines, quand plus rien ne transparaît de la gloire de Dieu, quand plus rien n'est manifesté, dans l'attitude des fidèles comme des clercs, de la divinité du Christ, répondons-nous réellement à notre vocation de fils et filles de Dieu, saisis à la fois par la tendresse de Dieu qui se fait tout-petit pour se rapprocher de nous, et qui ainsi nous montre que nous sommes tout-petits, perdus, et par la gloire de Dieu qui est le Tout-Puissant, notre Créateur et notre Sauveur ?
Il ne s'agit pas non plus de tomber dans l'excès inverse, où le prêtre est tellement le Christ triomphant qu'il en devient inaccessible, où la liturgie est tellement l'expression du Mystère qu'elle en devient énigmatique et impénétrable, où l'assemblée est tellement toute-petite qu'elle ne peut pas participer à la célébration des Saints Mystères... Non ! Il s'agit de redécouvrir notre petitesse et notre grandeur d'enfants de Dieu, ceux qui, comme l'apôtre Thomas, savent tomber à genoux devant notre Seigneur et confesser : « mon Seigneur et mon Dieu ! » (Jean 20,28)
Faisons-nous bergers, mages, aveugles, lépreux, serviteurs, esclaves, apôtres... et ainsi, rentrons dans la gloire de Dieu qu'il a promis de nous partager en héritage !

Au Ciel, mystérieusement, nous serons à la fois prosternés devant la gloire de Dieu et debout pour le louer à pleine voix avec les anges : 

« Saint ! Saint ! Saint le Seigneur, Dieu de l'Univers !
Le ciel et la terre sont remplis de ta gloire, Hosanna au plus haut des cieux !
Béni soit celui qui vient au nom du Seigneur, Hosanna au plus haut des cieux ! »