Lectures du jour :

Première lecture : So 2,3;3,12-13 ;
Psaume 145,7.8.9ab.10b ;
Deuxième lecture : 1Co 1,26-31 ;
Évangile : Mt 5,1-12.

Homélie :

« Heureux… Heureux… Heureux… », neuf fois plus une.
Tels sont les premiers mots de ce long discours de Jésus sur la montagne, qui couvre trois chapitres, du 5e au 7e, de l’évangile de Matthieu. Un discours que nous pouvons rarement entendre dans son entier, de dimanche en dimanche, car il est la plupart du temps coupé par le Carême. Réjouissons-nous, car, cette année, nous aurons le temps de le conclure, le dimanche 6 mars, avant d’entrer en Carême !

Dimanche dernier, nous avons vu Jésus appeler ses quatre premiers apôtres : Jacques et Jean, Simon-Pierre et André. Et, avec eux, « il parcourait toute la Galilée, enseignant, proclamant la Bonne Nouvelle et guérissant toute maladie », et sa renommée s’étendit dans toute la région, si bien que « de grandes foules se mirent à le suivre ».
Aujourd’hui, « quand Jésus vit la foule, il gravit la montagne ». Il nous faut nous arrêter quelques instants sur cette phrase, qui n’est pas anodine. Pourquoi Matthieu nous rapporte-t-il que Jésus monte sur la montagne ? Qui est déjà monté sur une montagne, dans l’histoire d’Israël ? Et qui a déjà donné dix paroles au sommet d’une montagne, dans l’histoire d’Israël ? Oui, ici, Matthieu nous présente Jésus comme le nouveau Moïse, qui monte sur la montagne pour y recevoir la Loi que Dieu donne à son peuple. Mais, chose étonnante, Jésus ne reçoit pas la Loi de Dieu… il la donne lui-même !
Jésus est à la fois le nouveau Moïse qui reçoit la Loi, et Dieu qui la donne avec autorité.

« À nouveau Moïse, Loi nouvelle », pourrait-on dire. Et celle-ci va se déployer dans tout ce discours que nous entendrons pendant les cinq dimanches qui viennent.
Mais son introduction, ces neuf-plus-une béatitudes, sont, comme toute bonne introduction, un énoncé du contenu qui va être développé dans la suite du discours. Quel est donc le contenu de cette Loi nouvelle que Jésus nous donne aujourd’hui ?
« Heureux… Heureux… Heureux… » Nous connaissons tous ces paroles paradoxales, que l’Église nous propose chaque année à la Toussaint. « Heureux les pauvres de cœur, heureux les doux, heureux les affligés, heureux les affamés et assoiffés de justice… » Gandhi voyait dans ces paroles l’un des plus beaux textes de l’histoire de l’humanité, et il avait raison. Mais nous, nous y voyons plus que cela : nous y voyons une loi de l’existence chrétienne, une loi qui entre en contradiction avec la loi du monde. Cette loi du monde qui nous dit plutôt : « heureux les riches, heureux les forts, heureux ceux qui sont contents d’eux-mêmes, heureux les rassasiés… »
Jésus, dans ces dix paroles de bonheur, nous donne une promesse qui se réalise déjà ici-bas : il nous promet le bonheur alors même que, selon les lois du monde, nous devrions être malheureux. Mais comment cela est-il possible ? Quelle est la clé de ce bonheur ?

« À Loi nouvelle, Peuple nouveau », pourrait-on dire encore. Ce peuple, c’est l’Église convoquée et rassemblée par Dieu autour de l’unique Bon Berger, le Christ Jésus. Le don de la Loi à Moïse a constitué, au Sinaï, le peuple d’Israël. Le don des Béatitudes par Jésus constitue maintenant le peuple de Dieu dans l’Église, qui va naître du don de la vie de Jésus sur la croix.
La clé de ce bonheur paradoxal annoncé par Jésus aujourd’hui, c’est Jésus lui-même : dans ces Béatitudes, il nous trace un portrait de lui-même. Qui est pauvre de cœur, si ce n’est le Fils qui se reçoit totalement du Père et se donne totalement à lui pour nous sauver ? Qui est doux, si ce n’est celui qui est « doux et humble de cœur » ? Qui est affamé et assoiffé de justice, si ce n’est celui qui vient nous rendre justes ? Qui est miséricordieux ? Qui a un cœur pur ? Qui est artisan de paix ? Qui est persécuté pour la justice ? Si ce n’est Jésus ?
Et c’est ce même Jésus qui exultera de joie à l’heure de sa Passion, en criant vers le Père : « je te bénis, Père, Seigneur du ciel et de la terre, car ce que tu as caché aux sages et aux savants, tu l’as révélé aux tout-petits ».

Mes frères et sœurs bien-aimés dans le Christ, n’ayons pas peur d’écouter et de recevoir ces paroles si paradoxales. En nous les donnant, le Christ se donne lui-même à nous et nous donne la grâce de les réaliser dans notre propre vie, en nous tournant avec lui vers le Père pour tout recevoir de lui.
Par la foi, entrons plus avant dans la suite du Christ. Par l’espérance, faisons confiance à Jésus : la promesse de bonheur qu’il nous donne aujourd’hui, il a déjà commencé à la réaliser en nous par le baptême et l’eucharistie. Par l’amour de Dieu et de notre prochain, mettons en œuvre cette Loi qu’il nous donne à vivre.