18ème dimanche du temps ordinaire année C
Par P. Vianney le dimanche 4 août 2013, 12:00 - Homélies - Lien permanent
Qui possède qui ?
Ne nous laissons pas posséder par ce qui périra avec nous, mais possédons-le pour l'utiliser au service de Celui et de ceux que nous aimerons pour l'éternité.
Première lecture : Qo 1,2;2,21-23 ;
Psaume 89,3-6.12-14.17 ;
Deuxième lecture : Col 3,1-5.9-11 ;
Évangile : Lc 12,13-21.
Homélie :
« Vanité des vanités, tout est vanité ! », clame l'Ecclésiaste, quelques siècles avant Jésus.
« Frères, vous êtes ressuscités avec le Christ », nous dit saint Paul.
La résurrection du Christ, qui nous annonce notre propre résurrection, est en effet quelque chose de radicalement nouveau qui change le statut, la signification du "matériel".
Depuis la résurrection du Christ et sa promesse que, nous aussi, nous ressusciterons, nous ne pouvons plus en effet ni mépriser la matière, ni la diviniser.
Nous ne pouvons plus dire qu'elle est seulement "vanité", la méprisant comme l'Ecclésiaste ou les platoniciens considérant que la matière est prison de l'âme dont elle doit se libérer.
Nous ne pouvons plus l'adorer non plus, comme ceux qui se fabriquent des idoles ou qui se soumettent aux lois du monde matériel en agissant comme si elles étaient les normes ultimes de notre existence.
L’Ecclésiaste pose la question du sens de l'existence, et il ne peut pas y répondre. En fait, il a raison de répondre, dans l'état de ses connaissances de l'époque, que la vie n'a pas de sens, qu'elle est absurde, qu'elle n'est que vanité. Si notre vie se conclut par la mort, et puis c'est tout, effectivement, quel sens a-t-elle ? Aucun, sans doute. L'Ecclésiaste a raison de poser cette question, et il arrive à un moment où l'espérance de la résurrection des morts commence à poindre en Israël : il n'est pas possible que Dieu ait créé l'homme pour une vie absurde ! Il faut que cette vie soit éternelle ! Mais comment est-ce possible ?
Jésus, mort et ressuscité, répond à l'Ecclésiaste. La vie a un sens ! Le monde dans lequel nous vivons a un sens. Les richesses matérielles et spirituelles de ce monde ont un sens. Et il nous faut les utiliser dans ce sens...
Jésus, dans l’Évangile de ce dimanche, nous propose trois pistes de réflexion sur cette utilisation des biens de ce monde.
1. Avec la parabole du riche qui amasse tous ces biens dans ses greniers et meurt la nuit même, Jésus reprend la question de l'Ecclésiaste et la confirme : amasser pour soi-même est absurde, puisque nous n'emporterons rien de tout cela dans la mort ! « Tu es fou ! », dit Dieu au riche : ton comportement est proprement insensé !
2. En renvoyant celui qui lui demande d'obliger son frère à partager son héritage, Jésus nous renvoie à la morale naturelle, au sens le plus... naturel de ce mot : « Qui m'a établi pour être votre juge ou pour faire vos partages ? » Je vous ai donné une intelligence et une volonté, vous êtes libres et responsables ! Pourquoi vous tourner vers Dieu pour juger ce que vous pouvez juger vous-mêmes ? Je vous ai équipés pour, démerdez-vous !
Il suffit d'être un homme doué de raison pour comprendre qu'il y a un scandale effroyable quand, au même moment, certains possèdent trop alors que d'autres ne possèdent rien, ou trop peu pour vivre ! Je me rappelle une image qu'on m'a décrite l'autre jour : on y voyait un petit enfant, visiblement africain, qui nous regardait avec des yeux ronds, et nous posait la question : "Comment ça ? Tu es en train de me dire que vous avez tellement d'eau potable que vous chiez dedans ??!" Ça n'a rien de rigolo, comme question.
C'est notre responsabilité d'utiliser les biens que nous avons de manière juste. Il n'y a pas de mal à être riche ! Mais il y a scandale à être trop riches quand d'autres sont trop pauvres.
3. C'est là que saint Paul, à la suite de Jésus ressuscité, nous donne une morale de "ressuscités" : ces biens matériels et spirituels que nous possédons, il nous les a confiés pour que nous prenions soin les uns des autres dans notre intégralité, dans notre corps et dans notre âme, dans notre âme et notre corps.
Comprenons bien : les richesses sont une bonne chose ! C'est une bonne chose d'être riche ! En effet, celui qui n'a rien ne peut aider personne, alors que celui qui a beaucoup peut aider beaucoup de monde ! Et il le doit. "Un grand pouvoir implique de grandes responsabilités", disait son oncle à Spiderman. C'est vrai ! De grandes richesses impliquent de grandes responsabilités.
L’Église a toujours pris soin de l'âme et du corps, du corps et de l'âme de ceux qui lui étaient confiés. Ce n'est pas une opération de communication ! La raison profonde de cette action matérielle et spirituelle à la fois n'est pas une manière d'attirer les pauvres par le ventre pour les faire entrer dans notre club. Le Pape François ne va pas à Lampedusa pour faire du buzz ! Non. La raison profonde de cette action est que Jésus est ressuscité dans son corps, et que nous aussi nous ressusciterons dans notre corps ! Le corps est sacré et il faut en prendre soin au même titre que de l'âme, parce que les deux, à la fin des temps, entreront dans la gloire de Dieu pour l'éternité. Ou bien seront damnés, et je ne le souhaite à personne...
Vous le comprenez, nous, Chrétiens, n'avons aucune raison de ne pas prendre soin de nos frères à l'aide des richesses que Dieu nous a confiées : parce que ce serait absurde, parce que ce n'est pas humain, parce que Jésus est ressuscité et que nous espérons pour nous aussi et pour nos frères la résurrection !
L'enjeu, finalement, c'est qui possède qui ? Qui est maître de qui ?
Si nous appartenons au monde périssable et si nous faisons de lui notre maître, nous périrons avec lui. Et notre vie aura été absurde.
Si nous appartenons au Christ vivant pour l'éternité, nous vivrons avec lui pour l'éternité.
Possédons donc nos biens « en vue de Dieu » et faisons-en bon usage, en vue de l'éternité et de celle de nos frères.
Commentaires
Prendre soin de son corps... Tout un programme, selon Saint Paul aux éphésiens, chap V !
Et accessoirement, le même Saint Paul nous dit que notre corps est le Temple de l'Esprit-Saint...
Je m'en vais méditer cela, avec les mystères joyeux que l'Eglise nous propose de méditer en ce lundi, et qui donnent la part belle à l'Esprit-Saint, viens-je de m'apercevoir !
Bref, en deux mots comme en cent : soyons responsables !
Merci
Vous parlez de l'absurdité de la vie au début de votre homélie.
Ce thème m'amène vers ce qui constitue une angoisse. L'enfer. Car quelle est la valeur du sens si celui-ci consiste à donner le choix entre l'enfer et le paradis? Et pourquoi le choix libre devrait il conduire potentiellement à une éternité de souffrance? Comment pouvez-vous aimer un Dieu qui destine à la souffrance éternelle celui qui exerce sa liberté de lui dire "non"?
Le sens chrétien à la vie selon moi, donne une place au libre arbitre ce qui est une bonne chose, mais je ne peux pas accepter que le fruit de cette liberté puisse potentiellement avoir des conséquences si graves, et d'autant plus graves qu'elles sont éternelles!
Je préfèrerais l'absurdité à la potentialité de l'enfer. Et si l'enfer existe bien réellement et surtout s'il est éternel, comment croire que Dieu soit bon?
@Alex
Il me semble que vous confondez tout. La question que vous posez sur l'enfer pourrait se traduire, sur cette terre, par "j'ai le choix entre tuer ou ne pas tuer, voler ou ne pas voler, violer ou ne pas violer, sauter d'une falaise ou ne pas sauter. Comment se peut-il que, si je choisis de voler, de violer, de tuer, cela me mène à la prison ? Et comment se fait-il que, si je choisis de sauter d'une falaise, cela me tue ? Si j'étais réellement libre, je devrais pouvoir tout faire sans craindre la moindre conséquence, non ? Comment peut-on dire que la vie et la société sont bien faites ou que les hommes qui ont émis les lois sont bons ?"
Sur ce, je laisse la parole au padre.
@Alusz Ce commentaire était destiné à l'homélie du 4 août postée sur ce blog. JE me suis planté sur le postage. [Note de P. Vianney : erreur corrigée, discussion transférée ! ]
Oui c'est possible qu'il y ait des confusions de ma part. Je n'ai pas de pb avec la question de la conséquence d'un acte. Un citoyen qui commet un crime doit être puni. De même qu'un péché doit faire l'objet d'une réparation qui peut se traduire par un châtiment temporaire. Aucun pb avec ça, c'est non seulement faire justice cela a aussi des vertus pédagogiques. En revanche qu'une peine soit pour toute l'éternité, comme celle de l'enfer, je trouve cela scandaleux. Quel péché peut faire mériter une éternité de souffrance? C'est un point qui peut paraître un peu trop métaphysique, d'ailleurs quand j'essaye d'en discuter on me dit souvent de "revenir sur terre", mais pour moi c'est un blocage fondamental. Je ne peux pas imaginer qu'une créature conçue par amour et pour l'amour, puisse finir au fourneau pour toujours! Et qu'on le veuille ou non c'est là la base de la doctrine chrétienne, le Christ est venu pour nous sauver, sauver de quoi? La mort de l'âme, la séparation éternelle de la créature et de son créateur = l'enfer.
Je crois qu'effectivement la question d'Alex est une question métaphysique, au sens qu'il faut se poser la question de ce qu'est le péché et de ce qu'est l'enfer.
Tant qu'on comprend le mot "péché" seulement comme "acte mauvais voulu et accompli librement en sachant qu'il est mauvais", il est difficile, voire impossible, de comprendre en quoi il peut mener à l'enfer, qui n'est pas tellement un "fourneau" mais, en fait, l'état de l'âme quand elle est séparée totalement et définitivement de Dieu pour l'éternité.
Il me semble vraiment qu'il faut comprendre le mot "péché" d'abord et essentiellement comme "état de séparation d'avec Dieu". C'est ainsi d'ailleurs, je crois, que l'on peut comprendre le péché originel, qui n'est pas un péché personnel de l'enfant qui naît en le portant pourtant. Le péché originel, c'est l'état de séparation d'avec Dieu par solidarité (certes mystérieuse et révélée) avec l'acte personnel d'Adam & Ève qui les a mis, et leur descendance avec eux, en état de séparation d'avec Dieu.
Et ensuite, dans un second temps, analogiquement, nous nommons "péchés" tous les actes qui mettent ceux qui les posent librement et consciemment dans un état de séparation plus ou moins radicale d'avec Dieu. Effectivement, ce sont les actes mauvais voulus et posés librement qui sont des péchés, mais ils sont mauvais précisément parce qu'ils mettent en état de péché, c'est-à-dire de séparation d'avec Dieu.
Compris ainsi, on entend le lien direct qu'il y a entre le péché comme état de séparation d'avec Dieu et l'enfer comme état définitif et éternel de séparation d'avec Dieu. Le péché mène à l'enfer, et, en l'absence de salut, qui est le renouvellement par la mort et la résurrection du Christ de l'Alliance de Dieu avec l'homme, la destruction du mur qui sépare l'homme de Dieu, nous serions tous condamnés à l'enfer.
Reste la question : comment est-il possible qu'une créature créée par amour et pour l'amour se mette en état éternel de haine envers Dieu (et non pas de haine de la part de Dieu, qui aime toutes ses créatures, même damnées) ?
D'abord, il nous faut constater que les démons sont, eux aussi, des êtres libres créés par Dieu par amour et pour l'amour, et qui ont décidé librement et consciemment de se séparer pour l'éternité d'avec Dieu, en le sachant. Que des êtres infiniment plus intelligents et conscients que nous, hommes, aient pu poser cet acte de séparation et de haine définitive, voilà qui reste de l'ordre du mystère... et pourtant c'est vrai : Jésus lui-même les combat, les reconnaît, les dénonce et les renvoie à l'enfer.
Ensuite, il n'y a pas d'amour sans liberté, et la liberté suppose de pouvoir choisir d'aimer... ou de ne pas aimer. En fait, l'existence de l'enfer est nécessaire à la possibilité de l'existence d'un amour infini et éternel : si Dieu est tout-puissant, infini et éternel, l'enfer doit exister, car nous devons être libres de cette liberté même que lui, tout-puissant, infini et éternel nous donne. Il est nécessaire que nous ayons la possibilité de le refuser, autrement nous ne serions pas libres, et alors son amour ne serait pas total.
Cela peut paraître paradoxal, mais c'est nécessaire... et cela relève de ce que les théologiens appellent le mystère de l'iniquité. Oui, c'est un mystère, un mystère révélé que l'on n'aurait jamais pu déduire nous-mêmes de notre connaissance humaine du monde.
Reste la question, cette fois-ci existentielle plus que métaphysique : comment est-il possible de haïr Dieu au point de nous en séparer pour l'éternité ?
Regarde ton cœur, la réponse est là, et elle t'est absolument personnelle. Tu es libre, tu peux et tu dois choisir. Plaise à Dieu que tu l'aimes !
Ce facile argument du "la richesse c'est pas mal, tout dépend de ce que l'on en fait" ne me satisfait pas du tout.
Mais alors pas du tout.
Il sert trop souvent à éluder toute réflexion, pas tant sur son usage que sur ce qu'elle est, d'où elle vient, par quels mécanismes ; et donc à se donner bonne conscience, et peut-être parfois à ne pas se fâcher avec ses bons paroissiens qui donnent au denier du culte.
Je le trouve particulièrement faux et dangereux.
Quand on voit toute la littérature qui a été écrite sur ce sujet depuis les origines et dans toutes les sagesses et cultures, c'est bien malheureux (révoltant ?) d'en rester là.
Tare occidentale fort tardive (quelques décennies tout au plus), où il est fort mal vu de passer pour un ennemi du pognon au nom d'un "vieux moralisme judéo-chrétien qui a un problème avec l'argent" et autres raisons qui tiennent beaucoup plus à la sociologie qu'à la théologie.
Attribuée à Saint-Jean Chrysostome, je n'en sais pas plus :
"Imaginons deux villes, l'une avec des riches seulement, l'autre uniquement avec des pauvres.
Dans celle des riches il n'y aura pas un pauvre et dans celle des pauvres, il n'y aura pas un riche.
Voyons laquelle pourra se suffire le mieux :
Dans la ville des riches, il n'y aura point d'artisans, ni d'architectes, ni de forgerons, ni de cordonniers, ni de boulangers, ni de cordiers, ni de laboureurs, ni de chaudronniers, ni quelqu'autre ouvrier que ce soit. Comment donc cette ville pourra-t-elle subsister ?
D'où il est évident qu'une ville sans pauvres ne peut subsister.
Voyons maintenant la ville des pauvres.
S'il faut bâtir, on n'a besoin ni d'or ni d'argent, mais du travail des mains, et non pas de mains quelconques, mais de mains calleuses et de doigts endurcis, et de beaucoup d'efforts, et de poutres et de pierres. S'il faut tisser des vêtements, on n'a pas besoin non plus ni d'or ni d'argent, mais encore une fois de mains, de l'industrie et du travail des femmes. S'il faut cultiver et piocher la terre, a-t-on besoin de riches ou de pauvres ? de pauvres évidemment.
Mais si les richesses direz-vous ne sont pas utiles, pourquoi Dieu les a-t-il données ?
Mais (bande de *****, ajouterais-je) où prenez-vous que c'est Dieu qui vous a donné les richesses ? "
@PMalo : disons que réduire cette homélie au seul argument "la richesse c'est pas mal, tout dépend de ce que l'on en fait" est pour le moins léger. Tu sais lire, débrouille-toi, mon vieux !
Quant à l'allégorie attribuée à saint Jean Chrysostome, elle est jolie, mais elle n'a rien de réel : elle sert juste à montrer que la richesse ne vaut rien par elle-même. Oui, et puis ? La réalité, c'est qu'il y a des riches et des pauvres ici-bas.
Je fais quoi ? Je balance mes paroissiens hors de mon église parce qu'ils ont du fric ? Je ne te ferai pas l'affront de croire que ton commentaire se résume à cette (fausse) solution.