Justice et justice ne font pas forcément bon ménage...
Par P. Vianney le mercredi 5 septembre 2012, 10:51 - Cogitation - Lien permanent
Il y a quelques jours, je discutais avec une charmante petite dame, qui aimait beaucoup les chiens - ce qui nous fait au moins un point commun, sauf que moi je me force un peu, j'avoue
"Mon Père, vous comprenez, je ne supporte pas que l'on fasse de mal aux animaux !
- Ah mais, chère Madame, que je vous comprends ! Je suis parfaitement d'accord avec vous, ça n'est pas digne d'un homme de faire souffrir inutilement un animal !"
S'ensuivit une discussion sur les droits de l'homme et les droits de l'animal, sur le mal que peut faire un animal et la nécessité de l'éliminer dans ces cas-là, qu'elle ne nia pas, et ce qui devait arriver arriva :
"En même temps, cher Père, quand je vois ce que certains hommes - ces montres ! - sont capables de faire... les animaux, eux, au moins, ils le font par instinct, ils ne le font pas exprès. Je ne comprends pas comment on ne rétablit pas la peine de mort pour tous ces criminels innommables qui ont fait souffrir tant d'innocents...
- Ah mais, chère Madame, que je vous comprends ! Mais..."
... mais non. Je ne suis pas d'accord. Et c'est une question de justice.
Le raisonnement de cette petite dame - et de millions d'autres personnes avec elle - est le suivant : si l'on élimine les animaux quand ils deviennent dangereux, dans le but de protéger les hommes, les enfants, voire les autres animaux qui les entourent, il faudrait aussi que l'on élimine les hommes qui sont dangereux pour leurs semblables.
Le raisonnement se tient parfaitement.
Elle allait même plus loin, de manière toujours aussi raisonnable : puisque ces hommes ont commis des actes absolument inhumains, il serait juste de leur rendre la monnaie de leur pièce en leur infligeant la peine capitale. À cela, deux motifs. Le premier, c'est que c'est un juste retour des choses : œil pour œil, dent pour dent, et encore, pas tout à fait, puisqu'ils auront tué ou fait affreusement souffrir des innocents, ce qui fait qu'eux-mêmes ne le sont plus. Un sale œil pour un bel œil, une dent pourrie pour une dent saine, donc. Le second motif, c'est que, puisqu'ils ont commis des actes inhumains, ils ne sont plus des hommes : un homme agit humainement, donc qui n'agit pas humainement n'est pas un homme.
Implacable. Applaudissons.
C'est de la justice tout ce qu'il y a de plus juste : commutative (elle donne le salaire juste pour un acte donné) et distributive (elle le donne à chacun selon ce qu'il a fait). Parfaite.
Sauf que.
Continuons dans le même sens, allons un peu plus loin sur le chemin qui nous est grand ouvert par ce raisonnement impeccable.
"... mais, chère Madame, il y a quand même un petit problème : ces hommes, ce sont des personnes. On ne peut pas tuer, comme ça, de sang-froid, un homme qui est à notre merci, ce n'est pas bien !
- Mais, mon Père, vous n'êtes pas sérieux ! Ces gens sont des monstres qui ont eux-mêmes tué, violé, fait souffrir des enfants, des femmes, des innocents de sang-froid ! Est-ce que vous pensez à ces derniers ? Ce n'est pas juste !
- C'est vrai, et je suis parfaitement d'accord avec vous : il faut protéger les victimes, les accompagner, les relever quand c'est possible. Mais je ne suis pas sûr que cela nous donne le droit de tuer de sang-froid un homme, fût-il un criminel."
Et de lui parler d'Etty Hillesum, que je considère comme une sainte qui ne sera jamais canonisée : Etty, jeune juive au camp de Westerbork pendant la seconde guerre mondiale, regardait ces jeunes SS de son âge parquer des hommes, des femmes, des enfants dans des wagons à bestiaux pour une destination qui lui était inconnue (elle mourra elle-même à Auschwitz), et découvrait en eux une violence, un mal profond (au sens métaphysique du terme) que, comme en écho, réveillés à leur vue, elle découvrait au fond d'elle-même. Elle se découvrait sœur, dans cette humanité-là, avec ces jeunes criminels. Et je lui dis que, moi aussi, je connais quelque chose de cela.
Elle m'écoute, me regarde avec de plus en plus d'étonnement... et finit par me regarder avec effroi. Cette femme (que j'ai désignée comme une sainte !), moi-même finalement, nous sentons proches de ces monstres ?!! Mais alors...
... mais alors je suis un monstre, moi aussi, comme ces criminels. Comme tous ceux qui, sans approuver leurs actes, en les condamnant fermement comme des actes atroces et inhumains, comprenons quelque chose de ce qu'ils sont parce que nous découvrons en nous la même inclination au mal, la même violence - certes cachée ou maîtrisée - que celle qu'eux ont mise en œuvre de manière si effroyable. Je suis un monstre en puissance...
... et je mérite donc le même traitement préventif ? Oh, elle ne l'a pas dit.
Mais moi, je le dis.
Cette justice raisonnable, mécanique, évidente, fait de moi un monstre à double titre : d'abord parce que je suis un homme, comme ces hommes, et que donc, que je le veuille ou non, je suis leur frère en humanité. Et deux frères ont les mêmes gènes, voyez-vous, à peu de chose près : ils sont en tous cas de la même espèce humaine. Et ensuite parce que, en plus, j'ose entrer en moi-même et découvrir, à l'évocation ou à la vision de leurs actes effroyables, une réaction qui s'apparente à la leur : j'ai envie de les tuer. Parce que j'ai peur d'eux, parce que c'est tout ce qu'ils méritent.
Je suis un monstre, comme eux.
Tuer un homme de sang-froid est toujours inhumain. Qui et quoi que cet
homme soit. Quoi qu'il ait fait. Tuer un homme est toujours tuer un
homme. Même jugé et reconnu coupable de crimes inhumains. Et le vouloir, même simplement le penser, est inhumain, n'est pas digne d'être humain. Jamais.
Ce qui fait que ma petite dame horrifiée, me répondant, tout ébranlée, qu'elle-même ne voit pas en elle cette pulsion de violence, devient elle aussi un monstre, mais un monstre qui s'ignore : c'est elle qui crie à la mort de ces monstres qui sont ses frères !
Cette justice froide et mécanique, impeccable, est une vraie justice, parce qu'elle nous met tous au même niveau : nous sommes tous des monstres, qui en acte, qui en puissance... mais au fond, si nous allons au bout de la logique en mettant à mort les criminels, nous sommes tous coupables, tous meurtriers, tous des monstres.
Et c'est justice ! (Et je le pense vraiment, en plus... ce n'est pas une figure de style.)
Oserais-je me permettre d'imaginer, de rêver une autre justice ? Je me le permets, seulement pour voir, hein. J'ose.
"Chère Madame, et si, en regardant ces hommes qui ont commis des actes atroces, nous cherchions ensemble à découvrir ce qui nous est commun, en bon, en beau, en bien ? Si nous cherchions à voir, derrière ces actes, la personne qui les a commis ? Une personne toujours douée de raison et de volonté, et donc de liberté et de responsabilité ? Une personne qui pourrait changer ? Qui pourrait renoncer ?
Sans angélisme, sans renoncer à la justice, sans renoncer à protéger et accompagner les victimes déjà faites ou potentielles, en lui faisant payer ce qui est possible, mais en lui donnant une chance d'être considérée comme capable de changer, comme capable aussi de vérité et de bonté et de bien ?
Si j'osais pousser la folie jusqu'à découvrir en cette personne un homme, une femme comme moi ?"
En regardant la personne dans ce qu'elle est, et non plus seulement dans ce qu'elle a fait, sans en faire abstraction pour autant, autrement ce ne serait pas juste, je découvre quelque chose d'une autre justice, qui n'est pas plus fausse que la précédente et qui n'est pas non plus sans risque.
Je découvre la possibilité, oh, peut-être en rêve seulement, mais le rêve n'est-il pas quelque chose de parfois beau, de parfois vrai ? Quelque chose qui, parfois, m'oriente vers un chemin que je n'avais pas vu, peut-être plus beau, peut-être plus vrai ? Je découvre la possibilité d'une justice qui justifie, qui rend juste.
Oh, elle n'efface rien : ce qui est fait est fait ! Mais elle reconnaît une autre vérité, sans doute plus fondamentale et donc plus cachée parce que plus profonde, moins évidente, moins superficielle : elle reconnaît la vérité de ce qu'est tout être humain, c'est-à-dire une personne. Une personne plus ou moins ligotée dans sa psychologie plus ou moins déviante, une personne plus ou moins ligotée dans ses actes passés, mais une personne aussi plus ou moins libre, toujours au moins un tout petit peu... même si cela relève d'un rêve parfois difficile à voir et à réaliser.
Cette personne qui a fait des crimes atroces, c'est encore une personne, comme moi qui suis une personne qui n'a pas fait de crimes atroces... pas encore, jamais j'espère !
En lui laissant la vie qu'elle a niée si affreusement, en lui redonnant cette vie... en lui laissant sa dignité qu'elle a niée si affreusement, en la lui redonnant, ne fais-je pas justice ? C'est-à-dire que je lui donne la possibilité, à partir de maintenant, d'être juste comme moi-même j'essaie de l'être précisément en lui rendant ce qu'elle-même a ôté à d'autres et à elle-même en même temps. Elle la saisira, cette chance, ou pas. Mais moi, je la lui aurai laissée, je la lui aurai donnée.
Elle paiera, bien sûr ! Peut-être faudra-t-il prendre les moyens nécessaires pour protéger les victimes potentielles (n'est-ce pas le but de la peine de prison à perpétuité ? a-t-on fait de cette peine cela ? pas sûr...). Ne pas le faire ne serait pas juste (et en effet, aujourd'hui, ce n'est pas juste).
Mais, en cherchant à agir selon une justice plus grande, plus profonde, moins évidente mais plus belle, non pas sans risques non plus, non seulement moi je serai un peu plus juste, mais cette personne jugée - et condamnée ! - pourra aussi, peut-être, l'être aussi. En tous cas, la porte est ouverte.
"Oh... mais moi, je ne peux pas !
- Oh... mais moi non plus !
Mais j'ai un petit secret que je vous partage, chère Madame : il s'appelle Jésus, je suis frère de ceux qui l'ont accusé injustement, battu à mort, crucifié et enseveli dans la mort, et je suis aussi frère de ce Jésus, innocent, accusé injustement, battu à mort et enseveli dans la mort... et ressuscité, qui nous donne son Esprit Saint, nous relève et nous justifie."
Choisis ta fraternité, mon frère, et choisis bien !
Et que la grâce du Seigneur t'accompagne, parce que, c'est clair, tu en as besoin ! Et moi aussi.
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En lien notamment avec l'intéressant billet, déjà ancien, d'un bon ami : Sympathy for the Devil
Commentaires
Merci. Merci de dire, mieux que moi, ce que je pense, avec des arguments autrement développés et une conclusion d'Espoir, pour ne pas dire d'Esprit.
Parfois, on peut voir sur certains sites web des photos de prisons "modèles", dans des pays nordiques par exemple. Les commentaires qui suivent sont généralement révélateurs : "purée, c'est mieux qu'un hôtel, pour des criminels ! Alors qu'il y a des pauvres gens qui crèvent la faim", "je tuerais bien un gars pour me retrouver dans une taule comme ça", ... Est-ce vraiment justice ? Quand quelqu'un est condamné à de la prison, c'est, ce devrait être, une privation de liberté uniquement. Assortie d'un processus qui permet au condamné - à la PERSONNE condamnée - de retrouver un chemin permettant un retour sans risque (pour les autres ou... pour elle) en société.
Il y a aussi un épidose d'une série de science fiction que j'aime bien (Babylon 5, saison 4, épisode 9), et qui parle de justice, de pardon, de réhabilitation...
d'accord avec toi, Vianney, faut regarder l'acte et pas la personne (ou l'inverse).. et faut aussi une vraie possibilité de protéger contre les peines "à perpétuité" qui ressortent et qui ne t'ont pas entendu leur donner leur chance..... ceux là, je peux les écarteler et leur arracher les ongles? non, d'accord, je le fais que à leurs actes, pas à leurs personnes....
@ Tigreek : je crois qu'il y a une réelle injustice à voir des personnes en prison (pour peu que les motifs soient justes, mais n'élargissons pas) mieux loties que des personnes honnêtes qui ne sont plus capables - alors qu'elles le voudraient - de subvenir à leurs besoins vitaux.
Quand je lis que, dans telle prison, on claque des dizaines de millions pour mettre en place une écurie pour les prisonniers, je pense être en droit de me poser la question de la destination de cet argent public alors que je croise tous les jours des gens qui galèrent honnêtement pour nourrir leurs enfants innocents.
La question est complexe et politique, et je ne voudrais pas placer ici le débat sur ce point : le débat qui anime cet article et que je veux mettre en avant en l'écrivant est parfaitement résumé dans les deux dernières lignes de celui-ci : "choisis ta fraternité, mon frère !" C'est un débat moral qui précède et devrait animer le débat politique... c'est une décision morale que je dois refaire au moins chaque matin, quand je regarde le monstre apparaître dans ma glace, trente secondes après mon réveil
@ Isabelle : non, vous ne le pouvez pas. Ni aux personnes, pour les raisons évoquées dans l'article que vous commentez, ni aux actes, parce que c'est techniquement impossible
Je vais me faire l'avocat du diable, mais à aucun moment, vous ne parlez de la possibilité pour la société d'user de la légitime défense face à des individus qui ont prouvé qu'ils ne savent pas se contrôler ou vivre en société de manière civilisée.
Évidemment que ces individus sont des personnes, et ce n'est pas les renier en tant que personnes que de les exécuter (au contraire, la prison avilissante où on les considérerait à peine mieux que des déchets jouerait parfaitement ce rôle). Parce que même si ces personnes ne se réduisent pas à leurs actes, la nécessité pour la société de se défendre, et la nécessité pour ces personnes de faire face à la responsabilité de leurs actes (ce qui est tout de même le premier devoir d'un individu) peut légitimement imposer la mort.
Et oui, je connais le mot de Dostoïevsky, "Nous sommes tous responsables de tout et de tous devant tous et moi-même plus que tous les autres." Mais si quelqu'un a prouvé sa dangerosité de manière répétée, je préfère prendre la responsabilité de l'exécuter que de lui laisser, à aucun moment, la possibilité pour que son instinct dérangé puisse recommencer. Même, et surtout, si je suis cette personne. Nous sommes tous des criminels en puissance, est-ce que cela prouve que la peine de mort ne peut jamais être un choix valide ? Je ne crois pas. Il y a quand même une différence entre éprouver l'émotion, l'envie de commettre l'acte, et le commettre réellement.
Magnifique. Votre dernière partie explique exactement pourquoi je veux devenir psy.
Question de l'inhumain, l'inhumain n'est-il pas justement humain, atroce certes, mais commit par des humains, donc humain...?
Toutes ces questions sur l'humanité me font penser à cette excellente série anglaise, qui traîte justement ce sujet: being human, à travers des histoires de vampires, loups-garous et fantômes (oui oui, moi aussi au début je disais je ne regarderais pas des trucs de vampires, c'est ridicule!). En fait cette série a une profonde rélexion sur ce qu'est qu'être humain, sur le pêché, sur la rédemption.
Un petit article d'il y a quelques mois, suite à l'annonce de création de places de prison : la prison doit être un espace de préparation à la réintégration, ou la dignité de chacun doit être préservée. La punition pour la punition est une mauvaise conception des relations saines et saintes entre les hommes.
http://bonnouvelles.blogspot.fr/201...
En fait, vous avez raison. n'empêche que (supposition gratuite, puisque je ne vous connais pas, et ignore même où vous exercez votre ministère!!!), si je voyais quelqu'un en train de vous faire du mal, j'aurais une furieuse envie de l'étriper (et je ne crois même pas que j'aurais la même envie avec un animal: c'est à son maître que je m'en prendrais: Comment vous l'avez éduquée, cette bête?) Bon, mais en fait, je sais bien que c'est vous qui avez raison. C'est juste que moi, je ne suis pas trop raisonnable, quelquefois!!!
et... vous en avez beaucoup, des questions comme ça? (je parle de celles qui apparaissent en bas de la case réservée au commentaire) Si ça continue, je vais multiplier les commentaires (idiots, bien sûr, quand on n'a plus rien à dire!), histoire de les lire toutes, et de rigoler un peu, c'est trop drôle!!!
@ tous : je vois beaucoup de commentaires (sur Facebook particulièrement) qui posent des questions se référant à mon article : légitimité de la peine de mort, voire de la justice tout court, et souvent de la morale... elles sont passionnantes. Ce n'est pas la question que je soulève dans cet article.
La question que je soulève dans cet article est résumée dans cette injonction finale : "Choisis ta fraternité, mon frère !"
C'est une question morale fondamentale qui précède et entraîne vos questions qui sont de l'ordre de la morale particulière, voire politique. C'est une question qui se situe au niveau de mon cœur à moi (et de ton cœur à toi !) : quand je regarde mon frère, est-ce que je réalise que je suis son frère dans toutes les dimensions de son être, et que je ne peux pas choisir la mauvaise ou la bonne parce que j'ai les deux ? En revanche, selon laquelle décidé-je aujourd'hui, maintenant, de vivre et d'agir envers lui ? Pourrai-je lui reprocher d'avoir choisi la mauvaise si je fais la même erreur et commets la même faute ?
Je voudrais simplement que le lecteur ose se poser cette question fondamentale. Il pourra ensuite, en fonction de sa réponse quotidienne, en acte, en combat permanent, se permettre de se poser les questions qui en découlent... mais je suis certain que ses réponses à ces questions-ci dépendent fortement de cette question là. Et qu'il s'agit de ne pas se planter sur la réponse. Je pose donc la question
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@ Polydamas : cher ami, vous m'avez bien lu. J'ai écrit que
et aussi queMa première phrase n'était pas de l'ironie, et ma seconde phrase exprime clairement qu'il s'agit de payer, de réparer autant qu'il est possible, et qu'il est nécessaire de protéger les victimes et la société.
Pour ce qui est de la légitime défense, le concept est délicat à manier quand on parle de peine de mort. La légitime défense implique, pour qu'elle soit une défense, qu'il y ait attaque préalable, et pour qu'elle soit légitime, qu'elle soit proportionnée à la violence de l'agression et qu'il n'y ait pas d'autre moyen possible que la violence pour se défendre.
Si on veut appliquer ce concept à la question de la peine de mort, il faut donc qu'il y ait agression envers un membre de la société (jusque là, pas de problème... et encore : au moment où la peine de mort est prononcée et exécutée, ce n'est pas dans le feu de l'action, mais "à froid"), que la peine soit proportionnée au crime (la proportion difficile, voire impossible à établir, puisqu'on ne peut pas juger de la valeur d'une vie et donc non plus de la valeur comparative de deux vies) et qu'il n'y ait pas d'autres moyens pour la société de se défendre. Or, actuellement, dans nos sociétés occidentales, on a les moyens, et je continuerai à le penser tant qu'il existera des Disneyland et des émissions de télé à la con. Ce ne sont évidemment que des exemples
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@ Tiphaine : je ne connais pas cette série, ni aucune d'ailleurs
Mais, si l'étude des sciences de la psychologie te permettra d'approfondir le problème, elles ne te donneront aucune réponse définitive : elles ne posent pas par elles-mêmes de questions métaphysiques ou morales et sont par nature incapables de répondre à ces questions. En revanche, elles donnent des moyens de connaissances et d'accompagnement qui ne sont pas négligeables pour s'atteler à ces questions.
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@ Bonnouvelles : je n'ai parcouru votre article qu'en diagonale, pardonnez-moi !
Dans votre conclusion, vous évoquez deux échecs : "échec de la société à attribuer des peines justes et nécessaires, ou bien échec de la société à réussir à intégrer tout le monde en frères et sœurs du Christ." Je suis relativement d'accord, si ce n'est que le rôle du politique n'est pas de s'occuper des "frères et sœurs du Christ" mais des hommes et des femmes de notre société. Ce sont évidemment les mêmes personnes, mais la manière d'énoncer le problème est fondamentalement différente, surtout dans une république "laïque" comme la nôtre. J'invoquerai un troisième échec, racine des deux que vous présentez : un échec d'éducation. Et ce pour une raison bien simple à énoncer mais fort difficile à résoudre pratiquement : pour éduquer, ex-ducere, conduire vers l'extérieur, il faut savoir dans quelle direction, et notre société refuse de se poser la question de la direction... et donc n'y répond pas. L'échec est malheureusement alors quasi-inéluctable.
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@ C.C. : puis-je faire une distinction entre l'envie et la décision ? Avoir envie de tuer quelqu'un, quelle que soit la raison de cette envie, ne légitime rien et n'est donc pas vraiment un argument. Je ne sais pas si ça peut rassurer quiconque, mais je découvre régulièrement en moi cette envie de faire violence, voire de tuer. C'est précisément cette découverte qui me rend compréhensif (et en aucun cas avocat ou juge) envers les personnes qui la mettent à exécution, mais cela ne rend pas compte de grand-chose d'un point de vue moral.
Quant aux questions antispam, oui, il y en a quelques-unes, toutes plus ou moins capillotractées
@Padre: Certes, mais le truc c'est qu'en plus de mes études, j'ai la chance de faire une thérapie en groupe qui nous apprend vraiment ça: voir au plus profond de l'autre un humain, un frère. Je pourrais disserter sur la dynamique émotionnelle (c'est le nom de cette thérapie) pendant des heures, mais ça n'est pas l'endroit (quoi que,...!
)
Et par rapport à l'"inhumain",...?
Passionnant, ce débat !
Je désire juste souligner une dimension évoquée par Vianney pour lui et Etty Hillesum dont il parle.
De 7 à 77 ans, on prend conscience différemment de cette violence qui nous entoure. D'abord,on fait facilement la différence entre eux ( les monstres ) et nous.
ça peut durer longtemps !!
Une autre étape, longue, douloureuse, est de reconnaître, de nommer, les effets
de la violence qu'on a subie, et qui a déformé, rétréci,mutilé, notre vie ... En a-t-on jamais fini de nous pardonner à nous-même cette souffrance ?
On arrive enfin au seuil de cette prise de conscience : nous sommes pétris de la même argile, la violence est constitutive aussi de nous. Alors seulement, on peut commencer à vivre en radicale pauvreté. Le dire n'est rien. L'expérimenter est une vérité intense.
Sur ce chemin difficile, j'ai rencontré cet été un frère : chaque jour, j'ai lu quelques lignes du Journal de frère Christophe ( Tibhirine ) de 1993 à 1996.
Chacun sait qu'en ces années-là, l'Algérie était plongée dans une atroce guerre civile.
20/08/93 : Assassinats à Alger. Après tant d'autres. Ce cahier ne peut rester à l'abri de cette violence. Elle me traverse.
13/01/94: Jésus, guéris-moi de la violence tapie en moi: la bête.Humanise-moi selon tes béatitudes.
09/02/94: Piège d'une obéissance trop lisse et gentille. Elle a volé en éclats il y a deux jours pour une histoire d'évier ... Je reste meurtri d'avoir blessé ...
15/07/94: M'entendre redire ce matin ma violence, importune, malséante, me renvoie très loin de ma communauté ... une question m'a ébranlé: rejoindre les violents ? ...
mais suis-je vraiment de ceux-là, comme me l'a dit ce frère excédé de ma violence et assuré d'en être tout à fait pur ! Difficile de présider dans cet état d'esprit l'Eucharistie... mon amertume amère me conduira-t-elle à la PAIX ?
04/08/94 : ici le courrier n'arrive plus guère, le pont a sauté, on brûle la forêt, on manque d'eau et il fait chaud ... et puis ici vous savez on tue beaucoup ...
09/03/95: L'oeuvre propre à l'Espérance, c'est d'ouvrir le temps, malgré tous les obscurcissements, nuits et brouillards, et de le maintenir ainsi disponible à l'Eternel. Père, qu'il me soit fait.
18/08/95: Oui, toi, notre seule issue de secours, viens vite. ........
Merci aux lecteurs qui auront bien voulu accueillir ce partage, car c'est une sorte de violence - parfois profonde - de ne pouvoir communiquer ce qui vous habite ! ! ! ! ! ! !!
Désolé mais je ne vous comprends pas. Quand il s'agit de légitime défense, il ne s'agit pas de dire que la valeur d'une vie serait supérieure à une autre, il s'agit juste de proportionnalité dans la réponse défensive face à l'agression. La vie de l'assassin ne vaut pas "moins" que celle de la victime (il est même assez étrange de se poser la question), c'est juste qu'en s'arrogeant le droit de décider de la vie et de la mort d'un autre être, la société se permet, pour se défendre, d'utiliser la même défense à son égard que ce qu'il a fait à sa victime.
Sinon, sur l'histoire de la question à se poser avant de décider, je ne sais pas si vous connaissez l'histoire de ce pêcheur allant quasi-directement au paradis parce qu'il avait dit juste avant de mourir "Enfin, je vais arrêter d'insulter Dieu par mes péchés". Si je suis victime de mes pulsions et que je suis un danger pour mes semblables, je préfère encore mourir, plutôt que d'être la cause de morts en sus.
Désolé, j'ai oublié une partie de ma 3e phrase, j'aurais dû me relire plus attentivement. " c'est juste qu'en s'arrogeant le droit de décider de la vie et de la mort d'un autre être, l'assassin permet à la société, pour se défendre, d'utiliser les mêmes moyens à son égard que ce qu'il a fait à sa victime."
Pas de valorisation de la vie dans ce raisonnement, là.
@ Tiphaine : par rapport à l'inhumain, je n'ai rien à ajouter. Tu as bien résumé
@ M-Th : merci, comme souvent, pour votre commentaire !
@ Polydamas : vous avez raison, j'ai été trop vite. La proportionnalité porte sur le rapport entre la défense et l'agression, pas sur le rapport entre valeurs de deux vies... à vouloir trop en dire, on en dit trop ^^'
Ceci dit, bien souvent, les partisans un peu rapides, par trop bonne conscience, de la peine de mort la prônent précisément parce qu'ils considèrent que la vie du criminel n'a plus de valeur. Tout comme la vie d'un enfant à naître handicapé. Tout comme la vie du vieux improductif. Je voulais mettre cela en avant, ce n'était pas au bon endroit.
Il n'en reste pas moins, me semble-t-il, qu'ôter la vie à quelqu'un, fût-ce un criminel, est ce que la guerre est à la diplomatie : le dernier recours, quand tous les autres ont échoué.
Finalement, c'est toujours la question du recours légitime à la violence, que ce soit dans la légitime défense, la guerre juste ou le droit, qui est toujours extrêmement délicate.
J'aime beaucoup votre histoire de pécheur. Ceci dit, précisément, entre le laxisme et la mise à mort, il y a un monde qu'il nous faut explorer.