Lectures du jour :

Première lecture : Ap 11,19;12,1-6.10 ;
Psaume Ps 45,11-16 ;
Deuxième lecture : 1 Co 15,20-27 ;
Évangile : Lc 1,39-56.

Au matin d'un retour de trois semaines de vacances, cette homélie n'a malheureusement pas bénéficié du traitement digne qu'on aurait pu attendre pour une homélie de solennité liturgique et de fête patronale de la France... et, évidemment, elle n'a pas été écrite avant ! À vrai dire, pire encore : j'ai complètement changé de sujet en écoutant les lectures de la première messe de ce matin-là, juste avant d'aller moi-même lire l’Évangile et de prêcher.
Il faut croire que le Saint-Esprit veille, parce que plusieurs personnes m'ont demandé le texte original... je ne l'ai pas, puisqu'il n'existait pas, mais je tente ici de retranscrire ce que j'ai dit. Comme d'habitude, ce sera sans doute différent de ce que j'ai dit à l'oral, mais les idées et le message sont les mêmes.

Homélie :

Un jour, au séminaire, lors d'un repas animé, nous discutions - énergiquement, comme de jeunes séminaristes plein de vigueur peuvent le faire - à propos d'un cours de psychologie que nous recevions cette semaine-là. Plus précisément, la discussion portait sur la question complexe de l'influence de notre histoire personnelle et familiale passée (blessures, joies, tout ça) sur ce que nous sommes aujourd'hui et sur ce que nous faisons. Notre cher professeur de théologie dogmatique nous écoutait, jusqu'au moment où, tapant du poing sur la table, il nous interrompt : "Mais, bon sang, arrêtez avec vos bêtises ! Nous ressemblons plus à ce que nous serons qu'à ce que nous avons été !"
Silence à la table... puis nous lui avons demandé d'expliquer cette phrase quelque peu énigmatique...

Que voulait-il dire ?
Il existe une tentation fort courante : celle de chercher toujours dans le passé d'une personne, d'une institution, d'une société, l'explication de son comportement présent, de ce qu'elle est aujourd'hui. Telle personne est dépressive aujourd'hui ? Forcément, elle a été blessée dans sa plus tendre enfance par tel ou tel événement. Les jeunes prêtres ont un style plutôt "classique", voire "tradi" aujourd'hui ? Forcément, après les errances des années 70, ils ne peuvent qu'être légèrement rétrogrades, les pauvres... Non ! J'ai le "style" que j'ai, je m'habille comme je m'habille, je suis prêtre comme je suis prêtre et je célèbre comme je célèbre parce que j'essaie de faire du mieux que je peux, voilà tout !
On ne peut pas expliquer quelqu'un ou quelque chose seulement en raison des événements passés. Évidemment, ils nous influencent et ils influencent la société, mais ils n'expliquent pas tout de nous et de nos institutions.
La phrase de notre cher professeur était une réponse à cette tentation : "Nous ressemblons plus à ce que nous serons qu'à ce que nous avons été."

Mais laissez-moi penser que cette phrase a quelque chose de prophétique : c'est-à-dire qu'elle est profondément vraie... pour peu que nous nous y mettions ! Autrement dit, cela n'a rien d'automatique. Quand un prophète annonce un événement futur, c'est presque toujours sous condition : telle ou telle chose arrivera si vous continuez dans cette direction, telle ou telle chose n'arrivera pas si vous changez, si vous vous convertissez !
De la même manière, cette phrase est vraie : "Nous ressemblons plus à ce que nous serons qu'à ce que nous avons été"... pour peu que nous nous y mettions sérieusement !
Car il existe une autre tentation, que notre société nous met d'ailleurs sous le nez dès que nous tentons, nous, catholiques, dès que l’Église tente de dire ou de faire quelque chose de concret : celle de penser que notre spiritualité chrétienne est de l'ordre de la sphère privée, et que, par conséquent, elle ne doit pas se traduire de manière concrète dans notre existence et dans notre action. Finalement, tu crois ce que tu veux, mais surtout tu nous fous la paix avec ça ! Ou bien, encore, "nous irons tous au paradis", n'est-ce pas, tant que tu es gentil, peu importe ce que tu crois... Tout rapport avec des événements actuels, à propos d'une certaine prière du 15 août par exemple, est purement fortuit... ou pas.
Donc, notre foi en Jésus-Christ ne devrait surtout pas se traduire en actes, ne devrait surtout pas influer sur nos décisions et nos actions sociales et politiques.
C'est faux ! Puisque nous croyons en Jésus, puisque nous sommes chrétiens, nous devons agir en chrétiens, y compris quand nous nous engageons en matière sociale et politique, parce que notre foi implique nécessairement un comportement et une manière d'être qui y soient conformes, qui soient cohérents avec ce que nous croyons et celui en qui nous croyons. Autrement, je ne vois pas en quoi nous sommes crédibles... et c'est peut-être pour cela que, parfois, malheureusement, nous ne le sommes pas.

Certains d'entre vous doivent être en train de se demander : "Mais en quoi cela peut-il bien avoir un rapport avec l'Assomption de la Vierge Marie ?"
Il y en a un. Si !
. La Vierge Marie a reçu une grâce personnelle absolument unique dans l'histoire de l'humanité : elle a été préservée, en raison de la croix de son fils, du péché originel dès sa conception, ce qui nous fait l'appeler "l'Immaculée Conception". Elle n'a donc pas dû se battre pour contribuer à effacer en elle les traces et blessures du péché originel et de son péché personnel comme nous devons, nous, le faire. Sur ce point-là, la Vierge Marie n'est pas un exemple à suivre pour nous, puisque nous ne sommes pas, nous, "immaculées conceptions". Même si nous avons été purifiés, guéris, libérés du péché originel au jour de notre baptême, nous en subissons les conséquences chaque jour, ainsi que des conséquences de nos péchés personnels. C'est un fait.
De ce point de vue là, la Sainte Vierge a ressemblé, dès sa conception, à ce qu'elle devait être à la fin.
. En revanche, la Vierge Marie a, toute sa vie durant, combattu pour répondre à la grâce qui lui avait été faite... et de manière peut-être encore plus radicale que nous, notamment au pied de la croix, parce qu'elle ne savait pas encore, elle, ce que nous savons, nous ! Toute sa vie durant, la Sainte Vierge a dû se battre pour être fidèle, dans les circonstances du moment, à la grâce qu'elle avait reçue et à la mission qui lui correspondait. Comme nous !
Nous avons été créés, nous avons été baptisés, confirmés sans doute... nous avons reçu la grâce d'être enfants de Dieu, et, comme Marie, nous devons nous battre pour répondre à cette grâce, pour y être fidèles, dans notre vie concrète de tous les jours. Et, sur ce point, Marie est un exemple que nous pouvons suivre sans crainte de nous tromper. Sur ce point, Marie est une alliée très puissante, un appui sans faille, un guide sans erreur sur laquelle nous pouvons compter, que nous pouvons appeler à notre secours, que nous pouvons prier de tout notre cœur pour qu'elle nous aide, nous accompagne, nous assiste dans le combat quotidien, dans nos actions concrètes, sur le plan personnel et sur le plan social et politique aussi !

"Nous ressemblons plus à ce que nous serons qu'à ce que nous avons été"... si nous nous y mettons, de tout notre cœur, de toute notre énergie !

Alors, chers amis, chers frères et sœurs dans le Christ, aujourd'hui, jour où nous fêtons solennellement son Assomption, corps et âme, qui est la conséquence de sa grâce personnelle particulière à laquelle elle a été fidèle toute sa vie, dans chaque acte de sa vie, prions la Sainte Vierge, patronne de la France, de nous aider à ressembler, chaque jour un peu plus, très concrètement, dans chacun de nos actes, à ce que nous devons être un jour : des saints, comme elle !
"Nous ressemblons plus à ce que nous serons qu'à ce que nous avons été"... au boulot !