Lectures du jour :

Première lecture : Am 7,12-15 ;
Psaume 84,9-14 ;
Deuxième lecture : Ep 1,3-14 ;
Évangile : Mc 6,7-13.

J'ai prononcé cette homélie le 15 juillet dernier, juste avant de partir pour huit jours de camps scouts puis quelques jours de retraite en abbaye. Je ne l'avais pas écrite, mais en avais simplement jeté les idées maîtresses sur un bout de papier.
Beaucoup m'ont demandé si je l'avais écrite : quinze jours après, c'est une gageure de la reprendre. Je ne garantis pas de la rendre telle que je l'ai dite (d'autant plus que je l'ai dite deux fois devant des assemblées très différentes), mais vous en aurez au moins les grands axes et ceux qui me l'ont demandée pourront la retrouver.

Homélie :

Au jour de mon ordination, quand je suis arrivé chez mes parents pour la réception après la célébration à la cathédrale, une petite dame m'a fait un très beau cadeau. Dans un petit cadre, elle avait placé une carte sur laquelle elle avait calligraphié soigneusement la maxime suivante : "La vérité sans l'amour durcit, l'amour sans la vérité pourrit". Cette phrase est un cadeau que je garde dans mon cœur et que je me rappelle chaque jour. Je vous la transmets comme un trésor.
« Amour et vérité se rencontrent, justice et paix s'embrassent », proclame le psalmiste. Quand l'amour et la vérité vont de pair, la justice et la paix en découlent naturellement. En fait, l'amour et la vérité ne vont jamais séparément, autrement, ce ne sont plus ni vraiment la vérité, ni vraiment l'amour.

Regardons deux secondes comment les choses se passent quand on cherche à vivre l'un sans l'autre.

  • L'amour sans la vérité entraîne nécessairement des prises de position, des jugements partiaux : parce que l'on aime telle personne sans se soucier de ce qui est vrai, on va souvent détester telle autre personne qui n'est pas d'accord avec elle, ou qui a agi contre elle. On va toujours se ranger derrière elle, qu'elle ait tort ou qu'elle ait raison.
    L'amour sans la vérité engendre encore la prodigalité, c'est-à-dire une générosité qui n'est pas mesurée, pas raisonnable : parce que l'on aime telle personne, on va lui donner telle ou telle chose en abondance, au-delà du raisonnable, au-delà parfois du simple bon sens. Donner ou prêter, c'est bien, mais le faire en s'endettant soi-même à outrance, certainement pas. Toute ressemblance avec la situation de crise financière mondiale actuelle est absolument fortuite... ou pas.
    Ces situations engendrées par un amour non réglé par la vérité aboutissent à une absence de justice. Quand la justice disparaît, alors c'est la haine et finalement la guerre qui finalement prennent le dessus. C'est quand même dommage qu'un certain amour engendre finalement son contraire !
  • La vérité sans l'amour engendre bien souvent des prises de position, des jugements qui confinent à l'accusation : peu importe la personne qui est en face de nous, seule la vérité nue et dure importe ! On constate souvent alors un enfermement dans une accusation constante de l'autre sans plus se remettre soi-même en question.
    C'est aussi la fin de la générosité : le code de la route m'impose, quand je suis en voiture, de m'arrêter dès lors qu'un piéton pose le pied sur le passage piéton. C'est-à-dire que, en vérité, je dois la priorité au piéton en question... mais qu'est-ce qui l'empêche de me faire un grand sourire pour me remercier ? Résultat, bien souvent, je pile pour laisser passer un piéton qui ne me regarde même pas... "Connard !", pensé-je, alors que, péniblement, tout de même, au cas où il me regarderait, je lui lance mon plus beau sourire... ben oui !
    La vérité non vécue dans l'amour engendre finalement, là encore, une absence de paix ou chacun s'oppose à l'autre. Et la guerre n'engendre jamais une justice et une vérité plus grandes. C'est quand même dommage qu'une certaine vérité engendre finalement son contraire !

Un simple exemple, pour illustrer mon propos.
Je travaillais avec un homme qui me parlait chaque jour de son fils, dont il était très fier, l'heureux père ! Un jour, cet homme me lance, au détour d'une conversation, que "l’Église n'aime pas les homosexuels, elle devrait vivre avec son temps et sortir enfin de ses idées rétrogrades et intolérantes", tout ça...
Nous discutons, mais il refuse toute explication que je tente de lui donner. Je finis par lui demander : "Mais si ton fils, que tu aimes tant, t'annonçait un jour qu'il est homosexuel, que lui dirais-tu ? - Ah !... Eh bien, je lui dirais qu'il fait ce qu'il veut, mais que je ne veux plus le voir... pas de ça chez moi ! - Eh bien, moi, parce que je suis chrétien, parce que je suis catholique, je lui dirais en face que je suis convaincu que l'homosexualité n'est certainement pas le moyen qui l'amènera à un vrai bonheur, mais qu'il est toujours, lui, le bienvenu chez moi, parce que je l'aime quoi qu'il fasse..."
Le pauvre homme n'a rien dit du reste de la journée, abasourdi... Il n'avait jamais entendu pareille chose, ça le dépassait.

Amour et vérité, vérité et amour, inséparablement...
Un autre exemple, qui m'a profondément marqué : quand j'étais en seconde, il y avait une jeune fille de ma classe qui était absolument superbe. Malheureusement, elle n'usait pas forcément de ses charmes de la manière la plus profitable et passait de garçon en garçon avec une régularité impressionnante. Un jour, alors que je suis dans le couloir, à peu près seul, je vois cette fille arriver, en larmes, et se planter devant moi, me regardant droit dans les yeux (pardonnez-moi ce vocabulaire, mais c'est une citation) : "Dis-moi, est-ce que je suis une pute ?"
Le timide gamin de quinze ans que je suis, devant cette fille splendide, en larmes, avec la question qui tue... Je remercie encore le Saint-Esprit de m'avoir inspiré la seule réponse qui, je crois, lui témoignait de mon infini respect pour elle sans dire autre chose que la vérité. Je m'entends encore lui répondre, droit dans les yeux : "Non, tu n'es pas une pute... mais tu te comportes bien souvent comme une pute."
Franchement, je m'attendais à en prendre une. Elle a pris le coup en pleine figure... m'a regardé, a essuyé ses larmes, et m'a juste dit : "Merci."
J'espère de tout mon cœur qu'elle est heureuse aujourd'hui...
Aimer en vérité implique de rechercher, dans la personne que l'on décide d'aimer, à tout prix, ce qui, en vérité, est bel et bon. Et ce que l'on découvre - parce que, si l'on cherche bien, on découvre toujours quelque chose - nous porte à aimer plus cette personne en raison même de ce quelque chose de bon et beau en elle... Aimer en vérité aboutit à aimer plus et mieux !
Rechercher la vérité dans l'amour implique de chercher toujours ce qui est juste, ce qui va aider la personne que l'on aime à grandir dans cette vérité, dans ce qui est vraiment bon pour elle. Chercher la vérité en aimant aboutit à une vérité plus grande !

Comment expliquer cela ? Permettez-moi de m'élever un peu plus haut que nos réalités seulement humaines et à en chercher la raison en Dieu même...
Saint Irénée de Lyon, un Père de l’Église, évêque de Lyon au IIe siècle, disait que le Fils et le Saint-Esprit étaient comme les deux mains du Père. Or le Fils, le Verbe de Dieu, est la vérité en personne : « Je suis la vérité », dit-il de lui-même ; et le Saint-Esprit est l'amour en personne du Père et du Fils.
Quand Dieu crée, quand Dieu sauve, quand Dieu juge, il le fait toujours, sans aucune séparation possible, avec ses deux mains : le Fils et le Saint-Esprit, la vérité et l'amour. Et la création, le salut, le jugement dernier sont le reflet du Dieu un, vérité et amour.

Cela se vérifie dans les deux dernières béatitudes : « Heureux les artisans de paix, ils seront appelés fils de Dieu. Heureux ceux qui sont persécutés pour la justice, le Royaume des Cieux est à eux. »
Nous sommes appelés, nous aussi, à notre tour, à agir comme lui pour que notre action devienne chaque jour un peu plus et un peu mieux le reflet du Dieu un, vérité et amour, sans qui la paix et la justice ne peuvent exister...

Concluons en réécoutant et en redisant dans notre cœur la prière d'ouverture de la messe de ce jour :

Dieu qui montres aux égarés la lumière de la vérité pour qu'ils puissent reprendre le bon chemin (ce qui est vraiment l'expression de l'amour, n'est-ce pas ?), donne à tous ceux qui se déclarent chrétiens de rejeter ce qui est indigne de ce nom et de rechercher ce qui lui fait honneur, par Jésus, le Christ, notre Seigneur. Amen.