Lectures du jour :

Première lecture : Is 50,5-9 ;
Psaume 114,1-6.8-9 ;
Deuxième lecture : Jc 2,14-18 ; 
Évangile : Mc 8,27-35.

Homélie :

Jeudi dernier, j'allai célébrer la première messe de cette nouvelle année dans une maison de retraite de ma chère paroisse, tout joyeux de retrouver un certain nombre de personnes que j'aime là-bas.
J'entre donc dans le hall lumineux de cette maison, salue deux ou trois personnes et m'arrête devant une petite dame qui me dit : "À ce que je vois, vous devez être prêtre ! - Effectivement, chère Madame, je suis prêtre." Dans les quelques trente secondes que durèrent notre échange, elle me confia combien la vie était pour elle difficile, lourde à porter. Et elle ajouta : "Mais moi, je ne suis pas croyante..." J'avoue n'avoir pas osé l'inviter à la messe que j'allais célébrer. J'ai sans doute eu tort.
J'allai donc rejoindre la trentaine ou quarantaine de personnes qui m'attendaient pour célébrer la messe, petites dames et vieux messieurs qui ressemblaient en tous points à la petite dame du hall. Et, ensemble, nous célébrâmes la sainte messe.

Cet échange m'a amené à réfléchir à une question simple. Simple à poser, peut-être pas si simple à répondre : entre un fardeau et une croix, quelle différence ?
OK, la forme, admettons... mais ce n'est pas tellement cela qui nous intéresse. Le fardeau et la croix se ressemblent tout de même fortement : ils peuvent avoir le même poids, ils peuvent donner la même souffrance, ils peuvent être aussi moches l'un que l'autre. Ils peuvent tout autant l'un que l'autre être écrasants. Quelle est donc la différence entre le fardeau et la croix ?
Je crois que la différence est dans la réponse faite à cette question que Jésus nous pose : "Pour vous, pour toi, qui suis-je ?" La différence entre le fardeau et la croix, c'est le Messie, le Christ, Jésus.
Quand Pierre répond à la question de Jésus : "Tu es le Messie", sans doute entend-il par là ce que la plupart des juifs de son époque attendaient : un sauveur oint par Dieu pour libérer le peuple d'Israël du joug qui pesait sur ses épaules. À la fois un roi qui les délivre de l'empire romain, l'oppresseur du moment, mais aussi un sauveur qui, enfin, détruise toute souffrance, tout mal, tout péché. Enfin libres !
Si Jésus leur demande de se taire, c'est qu'il ne compte pas être un Messie dans ce style-là. D'ailleurs, il le leur annonce immédiatement : il faudra que le Fils de l'homme souffre beaucoup, qu'il soit rejeté, qu'il soit tué et que, trois jours après, il ressuscite... mot qui ne représente pas grand-chose encore, puisqu'on n'a encore jamais connu de ressuscité ! La réaction de Pierre ne se fait pas attendre, celle de Jésus non plus : non seulement il ne sera pas un Messie comme beaucoup l'avaient imaginé, mais il nous faudra le suivre sur le même chemin !

La différence entre le fardeau et la croix, ce n'est ni le poids, ni la souffrance... la différence, c'est de porter la pesanteur, les souffrances, les emmerdes, les deuils, les combats de la vie avec Jésus ou sans lui. De les porter en leur donnant le même sens que celui de sa croix : à sa suite, grâce à lui, les porter et les offrir pour la gloire de Dieu et le salut du monde ! Participer à sa croix pour participer à sa vie et à sa gloire !
La petite dame dont je vous parlais tout à l'heure avait ajouté ceci : "Mais moi, je ne suis pas croyante... vous voyez, je suis toute seule !" Les personnes que j'ai rejointes juste après avaient le même genre de difficultés, la vie était aussi difficile à vivre, le poids des années se faisaient autant sentir... et une autre dame, à la fin de la messe, m'a confié elle aussi ses difficultés avec ses enfants, avec son époux malade, et elle a pleuré sur mon épaule, la seule chose qu'elle m'ait demandée. La différence, c'est qu'elles étaient toutes ensemble, rassemblées autour du Christ qui porte sa croix, qui porte nos croix avec nous... et chacun, sans se décharger de sa propre croix d'ailleurs, portait aussi celles des autres, et les autres portaient la sienne. Cela ne les rend pas forcément plus légères ou moins douloureuses, mais nous ne sommes pas seuls ! Quand on est sur un lit d'hôpital, souffrant un calvaire, et qu'un ami entre dans notre chambre, on n'a pas moins mal ! Mais on n'est plus tout seul, et ça change beaucoup. Quand le Christ entre dans notre vie, notre fardeau n'en est pas forcément moins lourd, mais il devient une croix portée avec lui, dans le même but, avec tous les autres qui portent leurs croix et la nôtre avec lui. Et ça change beaucoup.

Il reste un point où nous pouvons faire plus que simplement être là, accompagner : les croix matérielles. Saint Jacques, dans sa lettre, nous le rappelle très concrètement : quand quelqu'un a faim dans notre rue, quand quelqu'un n'a pas de toit, quand quelqu'un manque de tout, nous pouvons, très concrètement, oh ! à notre mesure peut-être, mais tout de même : nous pouvons faire quelque chose ! Nous ne pouvons pas ne rien faire alors qu'il est possible, très concrètement, d'aider à trouver de quoi manger, peut-être parfois de quoi dormir... ne serait-ce que passer quelques minutes, partager une pizza... ce n'est pas impossible ! Ou partager avec une association, ou toute autre action concrète ou matérielle. Là, nous sommes attendus, parce que là, très concrètement, nous pouvons soulager des croix, nous pouvons les porter et les enlever. Et nous rendrons compte de notre action en ce domaine !
Il est des croix que l'on peut faire disparaître ou alléger, vraiment ! Et alors il faut le faire...

Pour résumer : la différence entre un fardeau et une croix ? Jésus-Christ, sauveur, qui vient la porter avec nous. Et nous, à sa suite, nous la portons avec lui, et nous portons nos croix les uns les autres, tous ensemble avec lui. Et enfin, nous pouvons en alléger ou en supprimer, celles qui sont matérielles, en notre pouvoir.
Prions le Messie, Jésus-Christ, de nous donner la force et la joie de porter notre croix, nos croix, tous ensemble, à sa suite, pour participer un jour à la vie qu'il nous donne par sa Croix !