Aujourd'hui, dernière messe de l'année dans une maison de retraite. Occasion, une fois de plus, de partager un peu de temps avec mes chers anciens.

Pendant toute la messe, l'une d'elle fait un bruit qui ressemble à la fois à un bon vieux raclement de gorge bien appuyé sur le ton d'un "hé hééé"... on ne sait pas trop ce que ça veut dire, on ne sait pas trop d'ailleurs si elle en est consciente.
Je viens lui porter la communion. "Voulez-vous communier ? - Hé hééé"... ça veut dire "oui", ou "non" ? Je lui présente le Corps du Christ : "Hé hééé !"... et elle communie. Et là, miracle : un sourire, mais un sourire, mes amis !
L'autre miracle sera à la fin de la messe. Je viens la voir, la remercie pour ce beau sourire qu'elle affiche encore. "À bientôt ?" Et là, au lieu du "hé hééé" habituel, net, heureux : "Oui !"

Et cette petite dame qui, à chaque fois que je m'arrête devant elle, descends à la hauteur de son fauteuil roulant, me regarde, droit dans les yeux, avec son regard bleu perçant au milieu de ses milliers de rides... et se met à rire, silencieusement, longuement, avec une joie qui illumine tout. Comme beaucoup d'autres, elle ne sait plus parler, mais elle est bien présente. Et, avec chacun, il faut trouver le mode de communication pour traverser cette absence de parole : toucher la main, sourire, appeler, rappeler, rappeler encore jusqu'au moment où on croise un regard, un instant, où tout se révèle, avant à nouveau ce mur de silence. La personne est un mystère, et ce mystère se révèle comme tel chez le tout petit enfant comme chez le vieillard : il est là, il ne peut pas parler, on ne sait même pas parfois s'il est conscient d'être là. Mais il est là, bien présent.

Je ressors de cette maison de retraite et vais me poser sur un banc, un peu plus loin, pour prier mon office. De l'autre côté de la rue, un couple passe. Ils sont tous les deux au moins septuagénaires. Entre eux, une complicité visible. Ils vont, main dans la main, à petits pas. C'est joli.
Tout à coup, l'un d'eux se met à chanter, à petite voix un peu cassée. Échange de regards, l'autre enchaîne... et voilà mes deux petits vieux marchant et balançant leurs mains enlacées sur le rythme de la chanson. Comme deux enfants à la sortie d'école chantant la dernière comptine apprise en classe, sautillant main dans la main en rentrant à la maison. En plus lent, plus serein. Plus vieux.
Deux mains enlacées. Une chanson. Un regard. Un rythme. Une vieille, bien vieille amitié. Celle qui reste quand les corps sont trop vieux pour aimer autrement. J'aurais aimé les faire parler de l'amitié conjugale, mais ils faisaient bien mieux : ils la vivaient. C'était beau.