Un gris matin de Carême...
Il avait mal dormi.
Il s'était mal réveillé.

Il n'avait aucune envie de prier.
Pire : il n'avait absolument aucun courage pour s'y mettre. Poser son cul sur une chaise, là, devant la Croix, était au-dessus des forces qu'il était prêt à y mettre. Au fond de son cœur, rien qui l'éveillât à la Présence qu'il savait, pourtant, de toute sa conscience et son intelligence, l'y attendre. Aucune volonté.
Il le posa donc ailleurs, son postérieur, à un endroit tranquille, où il n'y a rien d'autre à faire qu'à attendre que ça se passe.

Il prit son téléphone, ce téléphone cause parfois de tant de perte de temps. Il parcourut d'un doigt leste la série d'applications, toute ces icônes dont beaucoup sont synonymes de divertissement, de fuite du temps et du monde réel. "Jeux" ?... non. Un je-ne-sais-quoi le retient. "Piano". Ah oui, tiens, piano. De toute manière, il ne sait pas en jouer. Et puis sur un écran de téléphone... Piano, donc. Les doigts courent, ça dissone ou ça assone. Il s'en fout.

Et puis, tout doucement, les doigts cherchent une mélodie. Non, pas là, trop de touches noires partout. C'est compliqué, les touches noires. Plus haut ? Non plus. Plus bas ? Ah, oui. En commençant sur do (heureusement que la note est écrite sur la touche), il n'y a plus qu'une touche noire dans la mélodie.
Il ne réfléchit pas.
Il laisse la mélodie se dérouler. Chaotiquement. Do-do-ré-miii-fa-mi-ré-do-si-dooo-do...
Une fois. C'est foireux.
Deux fois. Bof.
Il continue...
Trois fois. Ça ressemble à quelque chose.
Quatre fois. Son cœur s'éveille. Les paroles reviennent au fur et à mesure que les doigts se déplacent de plus en plus automatiquement.
Cinq fois. Il fredonne.
Six fois...
Sept fois. Il prie. "Je vous saluuuue, Marie, comblée de grâââceuh..."

Il joue sur son clavier virtuel, tel un petit enfant qui, fâché avec sa maman, s'est réfugié dans la chambre d'à côté et a commencé par frapper son synthé n'importe comment, en le mettant en mode "armes de guerre", et puis, peu à peu, s'est apaisé, a passé en mode "piano n°7", celui qui est tout doux, et a tapoté, hésitant, la mélodie d'une comptine que sa maman lui chantonnait, quand il était petit.
Et la maman, dans la pièce à côté, entend les notes hésitantes, la comptine balbutiante, puis de plus en plus claire. Et elle sourit. Dans son cœur, elle rejoint le cœur de son petit, tout près, et elle chantonne avec lui.
Et le petit, peu à peu, rouvre son cœur et chantonne avec elle.
Et ils chantonnent ensemble.

Il a posé son téléphone par terre et son cul sur une chaise. Il a tourné son regard et son cœur vers la Croix. 

La prière d'une mère...

Marie au pied de la Croix