2ème dimanche de Carême - Année A
Par P. Vianney le dimanche 20 mars 2011, 17:00 - Homélies - Lien permanent
« Pars de ton pays, laisse ta famille et la maison de ton père, va dans le pays que je te montrerai ».
Lectures du jour :
Première lecture : Gn 12,1-4a ;
Psaume 32,4-5.18-19.20.22 ;
Deuxième lecture : 2 Tm 1,8b-10 ;
Évangile : Mt 17,1-9.
Homélie :
« Pars de ton pays, laisse ta famille et la maison de ton père, va dans le pays que je te montrerai ».
Imaginez deux secondes : on frappe à votre porte, vous ouvrez, et quelqu’un que vous n’avez jamais vu vous dit cela : « Hop ! Sors de chez toi, laisse tout, et prends la route, je te montrerai où aller ! » Que ferions-nous ?
Le Bon Dieu nous propose aujourd’hui de nous mettre en chemin. Et tout chemin suppose au moins trois choses : un point de départ, une destination, et un itinéraire. Voyons cela.
Quel est notre point de départ ?
« Abraham vivait alors en Chaldée », nous dit-on. En pays païen, pour les Juifs qui lisent ce texte. Un pays où Dieu n’est pas connu et adoré. Et Dieu vient chercher Abraham à cet endroit-là.
Nous aussi, il vient nous chercher là où nous sommes, tels que nous sommes ! C’est certain, nous ne sommes pas parfaits. C’est sûr, nous avons nos attaches… Certaines sont justes, et bonnes ! D’autres peut-être le sont moins. Peut-être mon téléphone portable ? Peut-être telle ou telle amitié, ou peut-être mon travail, qui est devenu tellement important dans ma vie qu’elle y prend la place de mon époux ou de mon épouse ? Peut-être la cigarette ? Que sais-je encore ?
Dieu vient nous chercher, ici, maintenant, dans l’état où nous sommes. Il nous demande, en ce temps de Carême, d’abandonner ces choses qui ont pris trop d’importance dans notre vie pour nous recentrer sur l’essentiel : cheminer avec lui, lui faire confiance pour l’itinéraire et la destination.
La destination, justement. Très important, de connaître la destination !
« Va dans le pays que je te montrerai », entend Abraham. Génial ! Précise, la destination ! Et je mets quoi, dans mon GPS ? Mais Abraham part.
Remarquez qu’avec Jésus, ce n’est pas forcément mieux ! « Ne parlez de cette vision à personne, avant que le Fils de l’homme soit ressuscité d’entre les morts ». Pierre, Jacques et André en sont pour leurs frais : ça veut dire quoi, « ressusciter des morts » ? Ils n’en savent rien ! Super, comme destination !
Et pourtant, pour nous, en ce temps de Carême, la destination, c’est bien Pâques. Pâques, la célébration de la résurrection de Jésus ! Oui, et alors ? Qu’est-ce que cela me fait, que Jésus soit ressuscité ? Cela fait que lui est arrivé à destination. Et que c’est aussi notre destination, parce qu’il nous l’a promis.
Alors, c’est vrai, nous n’en savons pas grand-chose, de cette destination. Moi, je n’ai jamais vu le Christ ressuscité ! Mais je crois, parce qu’on me l’a dit, parce que les Apôtres l’ont vu, qu’il est ressuscité, et que c’est là qu’il veut m’emmener avec lui.
Très bien, la destination me plaît !... Mais comment on y va ?
Et là, c’est saint Paul que je vous invite à réécouter : « avec la force de Dieu, prends ta part de souffrance pour l’annonce de l’Évangile ». Bravo ! Génial ! Donc, en gros, pour ressusciter, il faut souffrir ? Et vous voulez vraiment que je me mette en chemin ? Pas fou !
Alors, mes amis, soyons réalistes deux minutes, voulez-vous ? Regardons autour de nous. Est-ce que tout est beau, paisible, serein, avec des gazouillis d’oiseaux dans les arbres en fleurs ? OK, c’est le printemps. C’est aussi la situation au Japon, en Lybie, en Côte-d’Ivoire… j’en passe et des pires.
La question n’est donc pas tellement de souffrir ou de ne pas souffrir : ici-bas, nous souffrons tous. La question est : en vue de quoi acceptez-vous de souffrir ? Est-ce que vous voulez que votre souffrance soit simplement une absurdité fatale et sans issue que la mort ? Ou bien voulez-vous que, à travers cette souffrance inévitable et tragique, la vie jaillisse, infiniment plus forte, invincible et éternelle ?
Le Christ est ressuscité, et, pour cela, il a fallu qu’il passe par la souffrance et par la mort. Le Bon Dieu n’a pas voulu nous laisser seuls sur ce chemin difficile. Il est venu le partager avec nous, et il ne s’est pas dérobé au moment où ça devenait franchement difficile. Non, il est resté. Le Bon Dieu ne se moque pas de nous : « Tu vois là-bas, c’est joli tout plein ! Bon, je t’y attends, viens donc ! Oui, ça pique un peu, mais tu verras après, comme c’est bien ! » Non. « Oui, ça fait mal, mais je souffre avec toi, je fais le chemin avec toi, et tu verras : si tu pars avec moi, si tu marches avec moi, alors tu ressusciteras avec moi. Et alors, quelle joie nous partagerons ensemble, pour l’éternité ! »
Résumons : 1. point de départ : ici et maintenant, tel que je suis, en laissant sur place ce qui est trop lourd à emmener. 2. destination : la résurrection et la joie éternelle ! 3. itinéraire : la Passion et la Croix, mais toujours avec Jésus comme compagnon.
Alors je vous invite peut-être à prendre quelques instants de silence, et à confier au Seigneur une chose (éteindre l’ordinateur ? me priver de mon petit apéro chaque soir ? me décoller un peu de cet ami qui n’a pas forcément une excellente influence sur moi ?), une chose que vous voulez lui laisser, lui abandonner pendant ce Carême, pour marcher avec lui, plus libres, vers la joie de Pâques.
Et, pour prendre des forces pour ce chemin, recevons le Pain de la route, à cet autel : Dieu se donne lui-même pour que nous marchions avec lui.
Commentaires
Pas vraiment un commentaire sur cette homélie qui est tout un programme...
auquel j'adhère.
Mais une sorte de témoignage:
j'aime aussi le " pars vers toi " (lekh lekhra, malheureusement presque jamais écrit dans la traduction en français.)
Avec une grande reconnaissance, je peux dire qu'on peut en faire l'expérience
dès maintenant : si on part pour Dieu, on constate un jour ou l'autre que ce qu'on a abandonné est redonné au centuple; ce qu'on a pu sacrifier de nos réalisations humaines a finalement participé au modelage de notre personnalité entre les doigts de Dieu, pour l'ajuster à son oeuvre de salut.
M-Th
Chère M-Th, j'avais complètement oublié ce "pars vers toi" de Gn 12,1, et, effectivement, il est très beau. Ceci dit, il me semble bien que le traduire par "pars de chez toi" n'est pas faux, d'un strict point de vue grammatical, et que c'est le plus évident. C'est vrai que l'ambigüité de l'hébreu se perd dans la traduction, et que c'est peut-être dommage.
[Pour ceux qui ne pigent rien à ce que nous racontons, M-Th et moi : en hébreu, langue originale du livre de la Genèse, l'appel du Seigneur à Abram, au premier verset du chapitre 12, commence par ces mots : lekh (pars, va) lekhra (le : vers, ou de ; khra : toi). D'où l'interprétation de M-Th, fort belle et parlante d'un point de vue spirituel, et que je ne retrouve d'ailleurs ni dans les notes de la Bible de Jérusalem, ni dans celles de la Bible traduite par Osty. Je n'ai pas regardé dans la Traduction Œcuménique de la Bible, plus communément appelée TOB.]
Traduction semblable dans la Bible en français courant, Parole de Vie, NBS, Colombe, TOB : "pars de ton pays". Mais en ligne, on n'a pas les notes, il faudra que je regarde ça chez moi...
Il me semble que le 'lekhra' peut aussi être traduit "pour toi"... Non ?
Je te crois sur parole... je n'ai pas assez profité de mes cours d'hébreu, et tu es bien meilleure que moi !
Merci à Vianney et Tigreek d'avoir prêté attention à ma remarque sur " pars vers toi "
Ici, pour eux d'abord, une précision, et pour autres lecteurs aussi, une histoire vraie.
** J'ai fait une trouvaille ( mon érudition n'est qu'un habit inachevé et troué ):
Sauf dans celle de Chouraqui, on ne trouve cette incise "vers toi" dans aucune traduction française. Elle est dans le texte hébreu, en Gn 12,1 :
" Dieu dit à Abram: pars vers toi " -- en Gn 22,2 :" Dieu dit à Abraham: prends ton fils, ton unique, celui que tu aimes,Isaac, et va pour toi en terre de Moryah ..."
Elle se trouve aussi dans le Cantique des cantiques: 2, 10; 13.
Au XIème siècle, Rachi, le vigneron champenois, grand commentateur de la Torah, disait: " va pour toi, va vers toi, pour ton bien, pour ton bonheur..."
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Pour moi, aventure d'une rencontre agissante. En 1988, un amie me dit: " Tu connais Marie Balmary? " A mon ignorance, elle a répondu en m'offrant ce livre: " Le sacrifice interdit". Le titre m'a quasiment choquée dans mes certitudes. Formatée depuis la petite enfance dans une religion sacrificielle, mortifiante, je vivais en moi le combat entre cette forme d'adhésion et la poussée irrésistible de la vie tendant à s'épanouir,
combat violent parfois jusqu'à la dépression. La lecture de ce livre - tout spécialement les pages sur Dieu-et-Abram a fait choc. l'image de Dieu que je subissais a été une fois de plus ébranlée, ma lecture de l'Evangile a pris une nouvelle couleur.
Depuis, je continue de marcher dans cette perspective, je respire.
Impossible d'écrire ici ces pages. Juste quelques mots:, p.133:
"Un homme a pu sortir de ses enveloppes jusqu'à entendre la voix autre qui l'appelait vers lui-même,vers la terre de la relation; cet homme sera fait grande nation, son nom sera grand. Devenu JE, hors de tout ce qui l'a enserré, il peut grandir, reconnu par la voix éternelle...Lorsqu'une personne va ainsi vers elle-même, toutes les relations se modifient...le premier à franchir la porte de la conscience libre a fait franchir à l'humanité une de ses étapes décisives ..."
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J'ai lu plus tard les autres livres de Marie Balmary, mais cette première rencontre compte dans ma vie, il y a un avant et un après, comme en bien d'autres occasions.
L'Esprit- Saint n'a pas le Souffle court !!!
J'ai repris mes notes du mois de décembre où nous avions travaillé ce texte en hébreu. Nous avons effectivement traduit "pars pour toi, vers toi", et précisé qu'il s'agissait d'un voyage initiatique, qu'il y avait dans ce récit, une notion d'initiation personnelle, donnée tout entière rien que dans ces deux petits mots.
Merci pour ce partage M-Th !